Par Alastair Crooke
Illustration © Latuff pour MintPressNews
"Gaza est en feu, et l'État juif ne cédera pas", a proclamé avec enthousiasme le ministre israélien de la Défense, Katz : "L'armée israélienne porte un coup fatal aux infrastructures terroristes".
En réalité, ces dernières semaines, Israël a frappé des "infrastructures" en Cisjordanie, en Iran, en Syrie, au Liban, au Yémen et en Tunisie, en plus de Gaza.
Le projet dit "d'ordre fondé sur des règles" (si tant est qu'il ait jamais existé au-delà du discours) a été balayé au profit d'un sionisme ultra violent : génocide, attaques en traître sous couvert de négociations de paix, assassinats et élimination des dirigeants politiques. C'est une guerre sans limites, sans règles, sans lois et au mépris total de la Charte des Nations unies. Les limites éthiques sont purement et simplement qualifiées de "relativisme moral".
Quelque chose de radical est en train de remodeler la politique étrangère israélienne. Cette transformation doit être perçue comme un revirement au cœur même de la pensée sioniste, comme l'a écrit Yossi Klein (un voyage de Ben Gourion à Kahane).
Depuis plusieurs décennies, la stratégie d'Israël repose sur l'espoir chimérique et illusoire d'une "déradicalisation" des Palestiniens et de la région dans son ensemble, qui serait censée garantir la "sécurité d'Israël" C'est l'objectif "sacré" des sionistes depuis la création d'Israël.
Selon le ministre israélien des Affaires stratégiques, Ron Dermer, une telle mutation radicale des consciences ne peut venir que du bombardement des résistants jusqu'à leur soumission totale. (C'est la leçon qu'il tire de la Seconde Guerre mondiale). Un des aspects de la politique étrangère d'Israël est donc clair : c'est la "loi de la jungle".
Mais plus troublant encore, ces normes et principes éthiques qu'Israël cherche ouvertement à anéantir sont, de fait, des valeurs prônées par les États-Unis. Force est de constater que Washington a renoncé à son éthique traditionnelle quand il s'agit d'Israël. Au lieu de protester ou de chercher à limiter les agissements militaires d'Israël qui enfreignent ces normes, l'administration Trump les imite : attaques surprises sous couvert de pourparlers de paix, tentatives d'élimination de dirigeants et frappes de missiles contre des navires inconnus au large du Venezuela, faisant des dizaines de morts.
Les États-Unis agissent ouvertement, tout comme Israël, bafouant le droit international et les lois de la guerre.
Il semble que les principaux acteurs de l'establishment américain soutiennent de plus en plus les stratégies militaires d'Israël et se détournent même de l'éthique d'une "guerre juste" pour embrasser le traitement hébraïque d'"Amalek". Autrement dit, le "logiciel" éthique occidental s'actualise avec la "légitimité" alternative de la guerre totale.
L'État d'Israël a-t-il un avenir ? Israël commet actuellement une deuxième Nakba à Gaza et en Cisjordanie, tandis que la société juive reste prisonnière de la répression et du déni, tout comme en 1948. Dans son ouvrage fondateur sur la Nakba de 1948, publié en 2006, l'historien israélien Ilan Pappe rappelle la nécessité fondamentale de"ne pas laisser les événements [de 1948] tomber dans l'oubli".
'Une fois la décision prise, le 10 mars 1948, il a fallu six mois pour mener la mission à bien. À son terme, plus de la moitié de la population indigène de Palestine, soit près de 800 000 personnes, ont été expulsées, 531 villages ont été rasés et onze quartiers de villes ont été vidés de leurs habitants. Le plan, et surtout sa mise en œuvre systématique au cours des mois suivants, a clairement pris la forme d'une opération de nettoyage ethnique, considérée aujourd'hui par le droit international comme un crime contre l'humanité."L'histoire de 1948 est simple, mais effroyable : c'est celle du nettoyage ethnique de la Palestine, un crime contre l'humanité qu'Israël a voulu nier et dissimuler au monde. Il nous incombe de le remettre en lumière, non seulement comme un acte de reconstruction historiographique ou un devoir professionnel trop longtemps différé, mais aussi comme une nécessité morale, la toute première étape à franchir pour que la réconciliation ne soit pas un vain mot".
J'ai récemment fait remarquer que le documentaire controversé de la cinéaste israélienne Neta Shoshani sur la Nakba de 1948 montre que les limites éthiques et juridiques israéliennes ont été gommées dans une vague de sang et de crimes sexuels. Selon elle, la perte totale des valeurs éthiques (il n'y a pas eu de comptes à rendre ni de justice) a mis en péril la légitimité du projet de création de l'État. Elle alerte sur les risques d'une résurgence de ces pratiques au cours du conflit actuel, qui pourrait "sonner le glas de l'État d'Israël".
Les propos de Shoshani font allusion au traumatisme ressenti par les Juifs laïques et libéraux, qui ont vu les repères et le mode de vie de leur société, majoritairement laïque et libérale, bouleversés par l'orientation militariste et messianique de l'extrême droite israélienne. Le ministre des Finances, Smotrich, a récemment déclaré que le peuple juif vit "le processus de rédemption et le retour de la présence divine à Sion en engageant la 'conquête de la terre'".
De nombreux Juifs européens ont effectivement rejoint le nouvel État israélien pour y chercher sécurité et protection, mais aussi pour participer au projet sioniste en Palestine.
Pour l'instant, Netanyahou affirme bénéficier du soutien "à 100 %" de Trump et d'un "crédit illimité" pour mettre toute la région à feu et à sang. Comme l' écrit Ben Caspit, citant un diplomate israélien influent :
"Que Rubio se soit précipité ici quelques jours seulement après l'attaque de Doha, sans formuler la moindre critique, voire en soutenant l'opération, donne des ailes à l'offensive israélienne à Gaza. Israël n'a jamais bénéficié à ce point des largesses d'aucune administration américaine".
Et Trump ne semble plus aspirer au statut de "pacificateur mondial" et se concentre davantage sur la démonstration de la "supériorité exceptionnelle" de l'Amérique - par le biais de taxes douanières, de sanctions ou d'opérations militaires -, incarnant ainsi une Amérique de plus en plus agressive.
Pourtant, les problèmes sautent aux yeux : ces dernières années, Israël a été largement relégué au second plan lors de la Conférence nationale du conservatisme américain. Cette fois-ci, l'État juif et ses multiples guerres ne pouvaient être ignorés. La dernière conférence du conservatisme a dégénéré en "guerre ouverte" entre les néoconservateurs "réalistes" pro-israéliens et ceux qui ont demandé :
"Pourquoi ces guerres sont-elles les nôtres ? Pourquoi les problèmes sans fin d'Israël sont-ils à la charge des États-Unis ? Pourquoi devons-nous intégrer Israël à l''America First'" ? a crié le rédacteur en chef de The American Conservative : "On ne devrait pas, putain !"
Les tensions au sein du Parti républicain ne sont plus un secret : les partisans de MAGA soutiennent Trump, mais les grands donateurs et chroniqueurs juifs, tels que le belliciste pro-israélien Max Abrahms, ont dénigré les "isolationnistes MAGA" admirateurs de Tucker Carlson lors de la conférence, qui seraient devenus "dingues" en voulant se désengager du Moyen-Orient.
Trump a mis en garde Netanyahu, lui assurant que le génocide à Gaza fait perdre à Israël le soutien des Républicains, en particulier des jeunes. Il n'a toutefois modifié en rien son indéfectible soutien à Israël, mais semble avoir conscience des changements de tendance au sein de sa base électorale.
Si Trump a effectivement noté ce changement, Netanyahu s'en moque. Comme le rapporte Amir Tibon dans Haaretz :
"Si Trump croit que ses commentaires sur la 'perte de contrôle sur le Congrès d'Israël vont faire réagir Netanyahu, il se fourre le doigt dans l'œil. Les Israéliens n'ont pas besoin de Trump pour voir que leur pays est en train de perdre la bataille de l'opinion publique mondiale. »"Netanyahu et Ron Dermer ont l'air de bien vivre la perte du soutien international à Israël, son isolement accru, les menaces de sanctions et les mandats d'arrêt contre ses dirigeants (y compris Netanyahu lui-même). Les deux hommes semblent s'en moquer, précisément parce que c'est Donald Trump qui tire la sonnette d'alarme.
"Pour Netanyahu, tant que Trump le soutient, rien de tout cela n'a d'importance".
Les guerres d'Israël ont fait perdre à ce pays une génération de jeunes conservateurs américains, qui ne reviendront pas en arrière. Quelles que soient les raisons de la mort de Charlie Kirk, sa disparition a relancé le débat sur la mainmise d'Israël dans la politique républicaine.
Quand Netanyahu reprendra ses esprits, il s'apercevra qu'Israël a perdu l'Amérique (et le reste du monde avec).
Par Alastair Crooke, le 22 septembre 2025
Source: Strategic-culture.su
Traduit par Spirit of Free Speech